Divorce et violences conjugales : comment engager la procédure en toute sécurité ?

Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Divorce et violences conjugales : comment engager la procédure en toute sécurité ?
Le 20 novembre 2025
Divorce et violences conjugales : comment engager la procédure en toute sécurité ?
Divorcer après violences conjugales : sécurisez votre départ, constituez vos preuves et coordonnez les procédures juridiques

En 2024, les services de police et de gendarmerie ont enregistré 450 100 victimes de violences physiques, dont 54% dans le cadre intrafamilial. Face à cette réalité alarmante, de nombreuses victimes se trouvent paralysées, ne sachant comment sortir de l'emprise tout en préservant leurs droits et leur sécurité. Le divorce pour faute représente la procédure juridique la plus adaptée pour les victimes de violences conjugales, mais son engagement nécessite une préparation minutieuse pour surmonter trois défis majeurs : assurer sa sécurité physique, constituer un dossier de preuves solide et coordonner efficacement les différentes procédures judiciaires. Maître Florence ESTIENNY, avocat à Paris 16e, accompagne les victimes dans cette démarche complexe qui nécessite expertise juridique et approche humaine.

En bref :

  • L'Ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) peut être obtenue sous 24 heures en cas de danger grave et immédiat, sur initiative du procureur avec votre accord
  • Depuis le 1er janvier 2023, l'intermédiation financière des pensions alimentaires (IFPA) est automatique : l'Aripa prélève et reverse les pensions avec recouvrement forcé en cas d'impayé
  • Le dépôt de plainte est désormais possible directement aux urgences hospitalières dans 300 établissements conventionnés, sans passer par le commissariat
  • Les délais de prescription varient selon la gravité : 6 ans pour les délits (violences avec ITT ≤ 8 jours) et 20 ans pour les crimes (violences avec ITT > 8 jours, viols)

Sécuriser votre départ du domicile conjugal face aux violences

Quitter le domicile conjugal sans précaution peut vous exposer à une accusation d'abandon du domicile, constituant une violation du devoir de cohabitation prévu par l'article 215 du Code civil. Cette faute pourrait justifier un divorce prononcé à vos torts exclusifs, avec des conséquences désastreuses : perte de l'attribution du logement familial et fixation de la résidence des enfants chez le conjoint resté dans les lieux.

Avant tout départ, rendez-vous immédiatement au commissariat ou à la gendarmerie pour déposer une main courante. Cette démarche, qui doit précéder votre départ, attestera officiellement de la date et des motifs de votre décision. Mentionnez explicitement les violences subies et votre crainte pour votre sécurité. Cette précaution est impérative, même si la main courante n'a pas de valeur juridique formelle en tant que preuve.

Rassemblez discrètement vos documents essentiels : pièces d'identité, livret de famille, bulletins de salaire, relevés bancaires, titres de propriété, contrats d'assurance. Conservez ces documents en lieu sûr, de préférence hors du domicile - chez un proche de confiance, sur votre lieu de travail ou dans un coffre bancaire. Photographiez ou scannez tous les documents importants que vous ne pouvez emporter.

Exemple concret : Madame D., cadre dans une banque parisienne, a préparé son départ pendant trois semaines. Elle a scanné tous les documents financiers du couple (relevés bancaires, avis d'imposition, titres de propriété) qu'elle a stockés sur un cloud sécurisé accessible uniquement depuis son ordinateur professionnel. Elle a déposé ses bijoux de famille et papiers originaux dans le coffre de sa sœur. Le jour de son départ, elle s'est rendue au commissariat du 16e arrondissement à 7h30, avant l'ouverture de son agence, pour déposer une main courante détaillant les violences psychologiques et physiques subies depuis 18 mois. Cette préparation méthodique lui a permis de quitter le domicile à midi, pendant que son conjoint était au travail, sans risquer l'accusation d'abandon du domicile conjugal.

Préparer un plan de sortie sécurisé pour votre protection

L'organisation de votre départ doit être minutieusement préparée. Mémorisez les numéros d'urgence : le 3919 (Violences Femmes Info, accessible du lundi au vendredi) et le 17 pour une intervention immédiate de la police. La plateforme arretonslesviolences.gouv.fr propose également un tchat accessible 24h/24 et 7j/7 avec des professionnels formés.

Prévoyez un hébergement d'urgence chez des proches ou contactez une association spécialisée qui pourra vous orienter vers des structures d'accueil sécurisées. Si vous avez des enfants, préparez discrètement quelques affaires essentielles pour eux, en veillant à ne pas éveiller les soupçons de votre conjoint.

À noter : En cas de danger grave et immédiat, vous pouvez bénéficier de l'Ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) créée par la loi du 28 décembre 2019. Cette mesure exceptionnelle, délivrée sous 24 heures à l'initiative du procureur de la République avec votre accord, permet d'obtenir une protection immédiate sans attendre l'audience devant le juge aux affaires familiales. L'OPPI peut inclure l'éviction immédiate du conjoint violent du domicile et l'interdiction d'entrer en contact avec vous.

Constituer méthodiquement un dossier de preuves des violences conjugales

La charge de la preuve incombe à la victime dans une procédure de divorce pour violences conjugales. Selon les statistiques du ministère de la Justice, l'insuffisance des éléments de preuve constitue le motif récurrent de refus des demandes d'ordonnance de protection. Un dossier solide est donc indispensable.

Documenter les violences physiques avec précision

Dès que possible après chaque épisode de violence, photographiez toutes les lésions visibles. Prenez des photos le jour même, puis les jours suivants pour documenter l'évolution des blessures. Utilisez un appareil photo qui horodate les clichés ou envoyez-vous les photos par email pour avoir une trace datée.

Consultez immédiatement un médecin - votre généraliste, les urgences hospitalières, une Unité Médico-Judiciaire (UMJ) ou SOS Médecins. Demandez l'établissement d'un certificat médical détaillé qui doit obligatoirement comporter 10 éléments essentiels : le lieu et la date de rédaction, la signature et les coordonnées complètes du médecin, votre identité avec la mention "me déclare se nommer", la description factuelle et objective de toutes les lésions observées, vos déclarations entre guillemets sans interprétation, l'évaluation de l'ITT écrite en toutes lettres avec justification, la mention systématique "Sous réserve de complications ultérieures", et la remise en main propre uniquement (jamais par courrier ou email). Depuis la signature de 300 conventions entre hôpitaux, parquets et forces de l'ordre, vous pouvez désormais porter plainte directement dans les services d'urgence sans vous rendre au commissariat, facilitant ainsi vos démarches dans un moment difficile.

L'ITT est une notion pénale qui évalue le retentissement fonctionnel et psychologique des violences sur vos activités quotidiennes (manger, dormir, se laver, s'habiller, faire vos courses, vous déplacer). Elle n'a aucun lien avec un éventuel arrêt de travail. Toutes les violences conjugales constituent un délit, quel que soit le nombre de jours d'ITT.

Prouver les violences psychologiques invisibles

Les violences psychologiques, reconnues comme délit depuis la loi du 9 juillet 2010, sont plus difficiles à documenter car elles ne laissent pas de traces physiques. Les experts identifient 8 tactiques récurrentes utilisées par les agresseurs : le gaslighting (détournement cognitif qui vous fait douter de votre perception de la réalité), la manipulation émotionnelle, la privation émotionnelle, la restriction sociale (isolement progressif de vos proches), la privation de sommeil, le contrôle économique, les menaces répétées et l'humiliation publique. Tenez un carnet quotidien détaillé où vous notez chaque incident en précisant laquelle de ces tactiques est utilisée : date, heure, lieu, propos tenus, contexte, témoins éventuels et conséquences sur votre état psychologique.

Déposez régulièrement des mains courantes - idéalement une fois par mois ou tous les deux mois - pour déclarer ces faits et établir leur répétition. Cette régularité permettra ultérieurement de caractériser le harcèlement moral, élément constitutif du divorce pour faute.

Conservez précieusement tous les supports numériques : SMS, emails, messages sur réseaux sociaux, historique d'appels. Effectuez des captures d'écran régulières et sauvegardez-les en plusieurs endroits sécurisés. Attention toutefois : les enregistrements audio ou vidéo réalisés à l'insu de votre conjoint dans la sphère privée sont généralement écartés comme preuves déloyales. En revanche, les enregistrements effectués sur la voie publique ou en présence de tiers sont recevables car ils ne portent pas atteinte à l'intimité de la vie privée. Cette distinction jurisprudentielle est essentielle pour la validité de vos preuves.

Mobiliser des témoignages diversifiés et crédibles

Sollicitez des attestations auprès de toutes les personnes ayant été témoins directs ou indirects des violences : famille, amis, voisins, collègues de travail. Chaque attestation doit être unique et circonstanciée, rapportant des scènes vécues spécifiques avec dates précises. Les témoignages généraux sans détails concrets n'ont que peu de valeur probante.

Chaque témoin doit rédiger son attestation de sa main, la dater, la signer et joindre obligatoirement une copie de sa pièce d'identité. Les témoins doivent décrire précisément ce qu'ils ont vu ou entendu, les changements observés dans votre comportement (perte de poids, anxiété, isolement social) et l'impact des violences sur votre vie quotidienne.

Conseil pratique : N'oubliez pas que les délais de prescription varient selon la gravité des faits. Vous disposez de 6 ans pour porter plainte pour les délits (violences avec ITT inférieure ou égale à 8 jours, harcèlement moral, menaces) et de 20 ans pour les crimes (violences avec ITT supérieure à 8 jours, viols). Ces délais courent à compter du jour de commission des faits. Cette distinction est cruciale : même des violences anciennes peuvent encore être poursuivies si elles entrent dans ces délais légaux.

Obtenir une ordonnance de protection en urgence pour votre sécurité

L'ordonnance de protection constitue une mesure civile essentielle qui peut être obtenue dans un délai maximal de 6 jours. En 2023, 3 997 ordonnances ont été délivrées, soit une progression de 187% en 6 ans, témoignant de l'efficacité croissante de ce dispositif. Il est important de noter que 74% des demandes sont accompagnées d'une plainte et 50% d'un certificat médical - la présence d'une plainte renforce significativement votre dossier même si elle n'est pas juridiquement obligatoire.

Saisir rapidement le juge aux affaires familiales

La requête doit être déposée au greffe du tribunal judiciaire, accompagnée d'un exposé des motifs et de toutes les pièces justificatives. L'aide d'un avocat est vivement recommandée pour éviter un refus pour insuffisance de preuves. L'aide juridictionnelle provisoire est accordée automatiquement, sans justification de ressources, permettant une prise en charge immédiate des frais d'avocat.

Le juge peut prononcer de multiples mesures de protection : interdiction pour votre conjoint d'entrer en contact avec vous, interdiction de se rendre à votre domicile ou sur votre lieu de travail, éviction du domicile conjugal avec attribution de la jouissance du logement à votre profit, mesures relatives aux enfants incluant la suspension des droits de visite ou leur exercice en espace de rencontre. Pour les victimes de nationalité étrangère, l'ordonnance de protection ouvre droit à une carte de séjour temporaire d'un an mention "vie privée et familiale", délivrée gratuitement et renouvelable pendant toute la durée de l'ordonnance, garantissant ainsi votre droit au séjour indépendamment de votre conjoint.

Renforcer la protection par des dispositifs techniques

Deux dispositifs techniques peuvent compléter l'ordonnance de protection. Le Téléphone Grave Danger (TGD) vous permet de joindre 24h/24 une plateforme de téléassistance qui déclenche l'intervention immédiate des forces de l'ordre avec géolocalisation. En 2016, ce dispositif a permis 36 interpellations d'auteurs de violences.

Le bracelet anti-rapprochement (BAR), déployé depuis octobre 2020, assure une géolocalisation permanente avec zone d'alerte paramétrable entre 1 et 10 km. Son efficacité est prouvée : en Espagne, une seule femme placée sous ce dispositif a succombé en 10 ans, après avoir retiré son équipement. Le BAR nécessite le consentement des deux parties en procédure civile, mais peut être imposé dans le cadre pénal.

L'ordonnance de protection est valable 12 mois maximum et se renouvelle automatiquement si vous engagez une procédure de divorce pendant sa durée d'application. Le non-respect des mesures imposées constitue un délit puni de 3 ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.

Articuler efficacement divorce pour faute et procédures pénales

La coordination des procédures civiles et pénales optimise vos chances d'obtenir justice et protection. Déposez plainte parallèlement à votre demande d'ordonnance de protection. Le procureur de la République, systématiquement informé de la procédure civile, pourra engager des poursuites pénales qui renforceront votre dossier de divorce.

L'audience d'orientation et sur mesures provisoires (AOMP) organisera votre séparation pendant toute la durée de la procédure de divorce. Demandez expressément que le divorce soit prononcé "aux frais et dépens" de votre conjoint, ce qui l'obligera à rembourser vos honoraires d'avocat et frais de procédure, estimés entre 2 000 et 3 000 euros minimum.

Pour protéger vos enfants, sollicitez des mesures adaptées : suspension des droits de visite du parent violent ou organisation des visites en espace de rencontre avec présence d'un tiers. La loi du 18 mars 2024 prévoit désormais une suspension automatique de l'autorité parentale du parent poursuivi pour crime sur l'autre parent, agression sexuelle incestueuse ou crime sur l'enfant. Cette suspension s'applique de plein droit dès l'engagement des poursuites et reste effective jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales ou un éventuel non-lieu, garantissant ainsi une protection immédiate des victimes.

  • Constituez un dossier exhaustif réunissant tous les éléments de preuve
  • Anticipez une procédure longue (18 à 30 mois en moyenne)
  • Établissez une convention d'honoraires détaillée avec votre avocat
  • Coordonnez les démarches civiles et pénales pour maximiser leur efficacité
  • Sollicitez l'intermédiation financière pour sécuriser le versement des pensions alimentaires : depuis le 1er janvier 2023, l'Aripa (Agence de recouvrement et d'intermédiation des pensions alimentaires) prélève automatiquement la pension sur le compte du débiteur et la reverse au créancier, avec possibilité de recouvrement forcé en cas d'impayé et versement d'une allocation de soutien familial dès le premier mois de défaillance

À noter : L'intermédiation financière automatique des pensions alimentaires (IFPA) constitue une avancée majeure pour les victimes. Ce dispositif gratuit élimine tout contact financier avec votre ex-conjoint violent et garantit le versement régulier de la pension. En cas d'impayé, l'Aripa engage immédiatement une procédure de recouvrement forcé (saisie sur salaire, prestations sociales ou comptes bancaires) et vous verse l'allocation de soutien familial (187,24€ par enfant en 2024) dès le premier mois, évitant ainsi toute précarisation économique.

Face à la complexité des procédures et l'importance des enjeux, l'accompagnement par un avocat expérimenté en droit de la famille s'avère indispensable. Maître Florence ESTIENNY, avocat à Paris 16e, met son expertise au service des victimes de violences conjugales pour les guider dans cette épreuve. Son cabinet assure un accompagnement juridique complet, alliant rigueur technique et écoute bienveillante, pour vous aider à retrouver votre liberté en toute sécurité. Si vous êtes victime de violences conjugales en région parisienne, n'hésitez pas à solliciter ses conseils pour engager sereinement votre procédure de divorce et construire un avenir apaisé.